Réduction de l’empreinte carbone en agriculture : enjeux et contexte global
L’agriculture figure parmi les principaux secteurs émetteurs de gaz à effet de serre (GES), contribuant significativement au réchauffement climatique. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce secteur représente près de 25 % des émissions mondiales, en incluant les changements d’usage des terres et la déforestation. Face à cette réalité, la réduction de l’empreinte carbone en agriculture devient un enjeu environnemental, économique et sociétal de première importance.
Les sources d’émissions sont multiples : méthane issu de l’élevage, protoxyde d’azote lié aux engrais azotés, dioxyde de carbone provenant du machinisme agricole ou de l’utilisation des combustibles fossiles. Pour tendre vers une agriculture durable, il est impératif d’identifier des leviers d’action concrets et de mettre en œuvre des innovations disponibles dès aujourd’hui.
Réduction des émissions agricoles : les leviers d’action clés
Réduire l’empreinte carbone en agriculture nécessite une approche systémique. Plusieurs leviers complémentaires peuvent être activés en fonction des contextes locaux, des types de production et des ressources disponibles.
Optimisation de la fertilisation azotée
L’usage excessif ou mal ciblé des engrais azotés est l’une des premières sources de protoxyde d’azote (N₂O), un gaz à effet de serre extrêmement puissant. Pour en limiter l’impact, les agriculteurs peuvent :
- Utiliser des outils d’aide à la décision pour ajuster les apports d’azote aux besoins réels des cultures.
- Privilégier des formes d’engrais à libération lente ou organiques.
- Mettre en œuvre la fertilisation localisée et fractionnée pour maximiser l’efficacité et minimiser les pertes.
Amélioration de la gestion des effluents d’élevage
Dans le secteur de l’élevage, une gestion optimisée des lisiers et fumiers permet de réduire les émissions de méthane et d’ammoniac. Des solutions concrètes existent :
- Le stockage couvert des effluents pour limiter l’évaporation et la fermentation.
- Le traitement par méthanisation, permettant de produire du biogaz tout en réduisant les émissions.
- Le compostage maîtrisé pour favoriser une bonne dégradation organique.
Réduction de la consommation énergétique
Les exploitations agricoles utilisent des combustibles fossiles, notamment pour les tracteurs, les systèmes d’irrigation ou le chauffage des serres. Plusieurs pistes sont envisageables pour abaisser cette consommation :
- Remplacer les équipements anciens par du matériel plus sobre en énergie.
- Recourir à l’agriculture de précision afin de limiter les passages d’engins.
- Installer des panneaux solaires ou des petites éoliennes pour produire de l’électricité localement.
Agroécologie et séquestration du carbone : deux axes majeurs
Réduire les émissions est une chose, capter le carbone en est une autre. Ici, le sol joue un rôle fondamental. En effet, les pratiques agroécologiques permettent non seulement de stocker du carbone, mais aussi de régénérer les écosystèmes.
La couverture permanente du sol
Le non-labour et l’implantation de cultures intermédiaires (CIPAN) favorisent la séquestration du carbone dans le sol, tout en améliorant la structure du sol et la biodiversité microbienne. Il s’agit d’une méthode éprouvée pour enrichir les sols en matière organique et réduire l’érosion.
Les systèmes agroforestiers
L’agroforesterie, fusion entre agriculture et arboriculture, maximise la captation du carbone tout en diversifiant les sources de revenus des fermes :
- Les arbres stockent du carbone pendant des décennies tout en améliorant la fertilité des sols.
- Les systèmes mixtes procurent ombrage aux cultures et abris pour la faune auxiliaire.
- Certains permettent aussi une production alimentaire supplémentaire (noix, fruits, bois-énergie).
Innovations technologiques pour une agriculture bas carbone
Les technologies propres et connectées jouent un rôle de plus en plus central dans la transition vers une agriculture à faible impact climatique. De nombreuses innovations sont déjà disponibles et accessibles, parfois avec le soutien de politiques publiques.
Capteurs connectés et agriculture de précision
Les technologies numériques appliquées au suivi agronomique permettent d’adapter les pratiques culturales au plus juste :
- Mesure en temps réel de l’humidité du sol et des besoins hydriques.
- Cartographie des parcelles grâce à des drones ou satellites pour une gestion différenciée.
- Application ciblée des intrants (eau, engrais, produits phytosanitaires).
Biotechnologies et sélection variétale
La recherche en amélioration génétique apporte des solutions concrètes pour baisser l’empreinte environnementale des cultures :
- Variétés résistantes à la sécheresse ou aux maladies, réduisant l’usage des produits phytosanitaires.
- Plantes fixatrices d’azote qui diminuent les besoins en fertilisants externes.
- Cultures plus productives avec une empreinte au sol optimisée.
La robotique agricole
Les robots autonomes gagnent progressivement les exploitations. Ils permettent notamment :
- Un désherbage mécanique ultra-précis, réduisant l’usage des herbicides.
- Des semis ciblés et une gestion optimisée des cultures.
- Une économie de carburant grâce à une faible consommation énergétique et des déplacements intelligents.
Perspectives économiques et soutien des filières
Outre les bénéfices environnementaux, la réduction de l’empreinte carbone en agriculture est aussi porteuse d’opportunités économiques. En France, de nombreux dispositifs d’aide encouragent les exploitants à investir dans des pratiques durables.
Les marchés du carbone agricole, en développement, permettent aux agriculteurs de valoriser financièrement les réductions d’émission ou le stockage de carbone via des certifications (Label Bas-Carbone). Ces dispositifs offrent un revenu complémentaire et incitent à la généralisation des bonnes pratiques.
D’autre part, les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux. Les labels environnementaux, comme HVE (Haute Valeur Environnementale) ou Bio, deviennent des arguments de vente différenciants. Les acteurs de la grande distribution et les transformateurs alimentaires s’impliquent également, en intégrant les critères carbone dans leurs cahiers des charges fournisseurs.
Vers une transition progressive, mais inévitable
La transition vers une agriculture bas-carbone impose de repenser les systèmes agricoles, mais elle offre aussi des leviers de résilience face au changement climatique. L’enjeu est double : atténuer les impacts en réduisant les émissions, tout en s’adaptant aux aléas climatiques croissants.
En combinant innovations technologiques, pratiques agroécologiques et incitations économiques, le secteur agricole peut devenir un acteur central de la décarbonation. Les exploitants, les coopératives, les collectivités territoriales et les consommateurs ont chacun un rôle à jouer pour transformer durablement nos modèles de production agricole.
Au fond, il s’agit de concilier performance économique, sobriété carbone et durabilité des ressources. Une ambition réaliste, à condition d’agir dès maintenant.